Conférence de presse 15 mars 2016
SOS MAIN : des urgences avant tout!


Docteur Luc Depierreux

Lors de mon dernier exposé consacré à  la chirurgie de la main, je m'étais essentiellement attardé sur les pathologies rencontrées dans cette discipline et sur le fondement même de l'existence de cette spécialité. La chirurgie de la main était alors une extension de la chirurgie orthopédique englobant globalement le membre supérieur.

La main est un outil, perfectionné et précieux, qui nous permet dès le plus jeune à¢ge d'attraper un hochet, d'apprendre à  manger, écrire ...puis d'accomplir tout au long de notre vie des gestes de plus en plus complexes et précis .
Pour toutes ces raisons, la main est de loin la partie du corps la plus exposée aux blessures et accidents . Les accidents de la main sont nombreux et occupent une place prépondérante en traumatologie justifiant ainsi l'intérêt qu'on leur porte, tant par leur fréquence que par leur gravité pour la moitié d'entre eux.
Le nombre d'accidents de travail a, certes diminué depuis 1955 mais, depuis 1985, un pallier est atteint. Ce qui révèle une certaine limite à  la prévention sur les lieux de travail mais le champ de la vie courante est moins accessible à  cette prévention.
Quelques précautions permettraient d'éviter un certain nombre de ces accidents mais la précipitation, le manque de vigilance, la répétitivité des gestes, l'habitude nous poussent à  être imprudents.
Les accidents sont tellement divers et multiples et la chirurgie de la main tellement complexe, que les praticiens font leur possible pour réparer ce qui peut l'être.
A titre d'exemple : une plaie d'1 cm peut provoquer au niveau d'in doigt une lésion de 2 tendons, 2 artères, 2 nerfs qui sont les éléments "nobles " de la main. Malgré une réparation sous microscope, des séquelles peuvent persister et l'invalidité être permanente.
Toute blessure si bénigne soit-elle doit être évaluée voire "explorée " sous anesthésie locale et en cas de lésion d'un élément noble, une prise en charge chirurgicale adaptée est indispensable.
Pour répondre à  cette nécessité, une structure comme une unité main totalement émancipée des services d'accueil d'urgences générales, a vu le jour.

Crée en 1988 à  l'initiative du service d'orthopédie sous l'égide des Drs Paquay et Dutoy, il a très vite prospéré.
Alors qu'autrefois, les urgences "mains " étaient prises en charges par les orthopédistes, leur volume d'interventions n'a pas pour autant diminué . L'intention de créer un service dédié était belle et bien pertinente et réaliste.
Les statistiques ne peuvent contredire un développement constant et exponentiel de cette discipline au sein du CHR.
Inévitablement, le service s'est renforcé d'un second chirurgien formé en nos murs le Dr Hugon pour être rapidement rejoint par un troisième chirurgien le Dr Boquet.

Je suis fier de cette magnifique évolution encouragée par notre chef de service actuel le Dr Daubresse ainsi que par la direction médicale faisant du CHR un hôpital de pointe en ce domaine qui n'a pas à  rougir face aux grandes entités des autres provinces.
Grà¢ce à  cet élan commun, le service de Chirurgie de la Main du CHR de Namur acquiert à  grands pas une visibilité nationale et même internationale.
Ce service est actuellement accrédité par la FESSH (Federation of European Societes for Surgery of the Hand ) depuis 2013.
Cette reconnaissance est la seule dans la région wallonne (avec 2 autres en Belgique) lui assurant un rayonnement régional considérable.
La reconnaissance ultime d'un service de chirurgie de la main est l'obtention du label SOS-Main : c'est chose faite !
En décembre 2015, le CHR de Namur, a officiellement été reconnu comme un Centre SOS-Main agrée par la Fédération européenne des services d'urgence de la main ( FESUM).
Cette instance regroupe 53 centres en France, 5 en Suisse, 1 au Luxembourg et 3 autres en Belgique .
Afin de bénéficier de ce label, une équipe de minimum 3 chirurgiens qualifiés en chirurgie de la main et du membre supérieur doit offrir son plus haut niveau de qualité pour assurer une prise en charge 24 h/24 sans attente en un lieu unique de manière personnalisée tant adulte que pédiatrique .
Leur expérience, leur compétence et leur disponibilité permettent d'accueillir les patients le plus rapidement possibles, établir un diagnostic lésionnel grà¢ce à  une équipe multidisciplinaire, prévoir un acte chirurgical et suivre le patient dans ses suites immédiates et lointaines.
L'approche multidisciplinaire en étroite collaboration avec les radiologues, rhumatologues, neurologues, et les paramédicaux (kinésithérapeutes et ergothérapeutes spécialisés) est un plus pour le patient .
En effet, l'ensemble de l'arsenal thérapeutique dont dispose le CHR permet aux patients d'espérer les meilleures chances de récupération précoce, tel que les traitements conservateurs, les approches chirurgicales conventionnelles, endoscopiques, microchirurgicales et les traitements de reconstruction, en ce qui concerne la main, le membre supérieur et les affections des nerfs périphériques .
En obtenant cette certification, le CHR de Namur s'est engagé à 
- assurer la continuité des soins pour l'accueil et le traitement des urgences des mains,
- composer une équipe de chirurgiens hyperspécialisés,
- maintenir un niveau d'activité important
- disposer d'un matériel adéquat et spécifique à  cette chirurgie (microscope etc )
- une qualité des soins contrôlée et certifiée par une visite d'accréditation organisée par la FESUM L'organisation médicale est adaptée à  cette dénomination :
Comme dans tous les centres SOS-Main, les chirurgiens sont de garde à  tour de rôle 24h/24 7J/7 pour recevoir tous les types d'urgences de la main, de la plaie superficielle à  l'amputation des doigts ou de la main .
Si la plupart d'entre eux peuvent être soignés en externe ( certaines contusions, entorses et fractures), plus de 1000 patients par an doivent être hospitalisés pour subir une intervention chirurgicale.
L'hospitalisation est alors le plus souvent ambulatoire ou courte (24 à  48 h), sauf pour les réimplantations ( 5 à  10 jours ).
L'intervention se déroule en règle générale sous anesthésie loco-régionaledu membre supérieur, en l'absence d'une contre-indication d'une telle technique.
Dans le secteur d'hospitalisation de l'unité de chirurgie de la main, sont affectées des infirmières habituées à  gérer les problèmes que peuvent poser les segments réimplantés dans la période postopératoire.
La rééducation est également tributaire de cette nouvelle appellation :
Une équipe de kinésithérapeutes spécialisés travaille en collaboration permanente avec les chirurgiens de la main et assure de 8 à  19 h sans interruption les soins externes de rééducation ainsi que la confection des attelles et appareillages post-opératoires .

La création de centres SOS-Main résulte d'un réel enjeu de santé publique .

En effet, alors qu'en Belgique un accident de la main survient toutes les 10 minutes, le CHR pratique chaque année 2400 interventions de la main , dont 20 % en urgence et comptabilise 12000 consultations par an (à  savoir le 30% des consultations du service d'orthopédie) .
Et ces chiffres progressent d'année en année depuis que j'ai inauguré ce service il y a 25 ans.
Le plus inquiétant est l'urgence : pour 2/3 il s'agit d'accidents domestiques et un 1/3 d'accidents du travail .
On observe des pics saisonniers : coups de couteaux quand on ouvre les huitres l'hiver, dès les premiers beaux jours les doigts coupés par les tondeuses, taille-haies fleurissaient comme les parterres... On a équipé ces engins de sécurité type débrayage mais c'est sans compter sur l'esprit imaginatif et irresponsable des blessés arrivant fin de WE ...
Les jours de grand vent, la main claquée par la portière ou la fenêtre...
Outre cet inventaire lié aux saisons, nous avons notre lot d'accidents domestiques nettement moins poétiques tel le pic à  fondue planté dans la paume de la main de la petite, avec le morceau de viande qui va avec... ; le tournevis a transpercé en totalité la paume ; le pouce enroulé autour du forêt de la foreuse ; les doigts du petit brà»lés au 3 ème degré après une tentative d'exploration de la prise électrique etc...
Il n'y a pas de règle : rien n'est impossible !
Avec la crise et le dévelopement des magasins de bricolage et leurs fameuses promos, tout le monde veut bricoler et se sert de machines-outils parfois très dangereuses, sans prendre les précautions nécessaires par défaut de prévoyance ou méconnaissance de leur usage.
Le nombre de retraités de plus en plus nombreux avides d'activités de loisirs type jardinage, bricolage etc... sont très consommateurs de ces hobbies et donc souvent concernés par les accidents de la main.

Il en est de même pour le sports de tout type (voire les plus audacieux ) qui se démocratisent et occasionnent parfois de vilaines séquelles .
Et je vous passe la mode des émissions de cuisine créant des vocations sans apprentissage... les kits du parfait cuisinier en herbe avec couteaux céramiques sont offerts à  des "Tops-chefs "...
Je n'évoquerais pas l'évolution d'une société agressive, sous imprégnation et son lot de fractures suite à  des bagarres...dont on a plus aucune souvenance du pourquoi, o๠et comment, le lendemain !
Les jeunes sont victimes des modes auxquelles ils adhèrent sans se méfier des risques : les "ring fingers ". De plus en plus d'ados portent une bague au pouce et lorsque cette bague se bloque accidentellement dans un grillage par exemple lors d'un concert rock, celle-ci reste coincée et emporte au passage peau, tendons voire nerfs et plus.
C'est très fréquent et préoccupant car un arrachement du fourreau digital est compliqué car peu de greffes tiennent et le pouce est un élément essentiel à  la préhension.
Donc SOS main n'est pas dénué d'intérêt pour les jeux de vilains...

Le nombre d'accidents de la vie courante n'est pas sans conséquence pour la santé publique ;
2 paramètres entrent en ligne de compte :
- Le coà»t médical ( transport urgent, examens radio diagnostiques, chirurgie, anesthésie, médicaments, attelles, implants, contrôles post opératoires...)
- Le coà»t indirect ( arrêt de travail, indemnités, incapacité, expertise, ...)
Les dépenses d'indemnisation représentent 80 % du coup global d'un accident de la main . Si la durée de l'arrêt de travail est un élément difficile à  ma"triser car lié à  l'environnement ( tabagisme, proprté...) , la diminution du taux d'incapacité permanente partielle (IPP) est liée par une amélioration du résultat obtenu par une chirurgie de la main de plus en plus performante.
Les frais d'hospitalisation peuvent diminuer par une plus grande efficacité de la prise en charge de qualité et par le développement de la chirurgie ambulatoire.

Fort de ce constat évident, on ne peut qu'insister sur la prévention en sensibilisant la population de se prendre en main et d'avoir le réflexe de consulter un centre spécialisé si un accident survient malgré tout .
Que faut-il faire face à  une plaie de la main, face à  une amputation, une brà»lure, une infection ?
Conscients de cette déplorable situation de carence sur les conduites à  tenir en situation d'urgence, nous prévoyons l'arrivée d'un quatrième chirurgien de la main. Le Dr Tromme de l 'ULG.
Notre objectif est aussi d'aller plus loin dans le suivi du patient en allant au-delà  de la rééducation fonctionnelle, en passant par la prise en charge psychologique du blessé et de sa reconversion socio-professionnelle.
Je terminerai par ceci :
La main est une mécanique de très haute précision. Chaque structure peut être atteinte par la maladie, altérée par le vieillissement, frappée d'une pathologie congénitale.
Chaque élément peut être lésé lors d'un traumatisme si minime soit-il. C'est alors une fonction essentielle qui sera entravée et nécessitera une réponse thérapeutique adaptée particulièrement spécialisée.
Le chirurgien de la main :
- doit être à  la fois orthopédiste et savoir réparer un os,
- il doit conna"tre la chirurgie des nerfs, il doit être plasticien pour réparer et manier les téguments et structures les plus fragiles,
- il doit être microchirurgien pour réparer les structures les plus fines .
Muni de toutes ces compétences spécifiques, il pourra réimplanter un doigt ou membre sectionné complétement ou partiellement .

Mais comme me l'a appris mon mentor :
"L'important n'est pas ce que j'ai fait sur une main mais ce que vous faites avec la main que j'ai opérée"
Enfin, après ces explications j'espère que plus personne ne doutera de l'intérêt d'une unité exclusivement réservée à  ce membre car vous connaissez tous la mauvaise blague "pas de bras, pas de chocolat " et en Belgique, ça craint ...tellement il fait partie de nos fiertés culinaires !